N
M

la petite citation

qui fait

grave du bien dans le kokoro

Mayaku

Mayaku, l’idyllique ville nippone, n’est plus. Les guerres de gang, l’avidité et la convoitise du pouvoir, la folie et les flammes, ont tué ce paradis. Et bientôt, ça sera votre tour.
 
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Dim 10 Juin - 1:24
I feel you, honey,
Il l'avait laissée là, pauvre enfant, était parti s'isoler avec les grands derrière une porte européenne de bon aloi, gageait-elle, pour parler de trafic de cocaïne et du relief de ses cuisses glissées sous le satin de sa robe de soirée, comme deux pétales égarés. Les affaires allaient comme elles pouvaient, et il y en avait d'urgentes à régler ; de celles dont Reiji ne parlait pas, pas même une fois les portes closes, pas même à sa Donatia. Candidement, elle se surprenait à penser qu'en agissant ainsi l'oyabun Shinobu Gaï la protégeait de pluies qui n'auraient pas seulement fait friser ses cheveux. Parfois même, elle se plaisait à imaginer qu'il le fasse délibérément - peut-être l'aimait-il un peu, rien qu'un peu. Voilà qui aurait flatté son ego.

Elle attendait donc, les jambes croisées et le verre de bourbon à la main. Elle congédiait le serveur d'un regard entendu et celui-ci semblait l'en remerciait : pas qu'il ignorait pour qui il travaillait ni à qui appartenait l'établissement, pas que celui-ci ait quoi que ce soit à se reprocher et à craindre, mais probablement avait-il besoin d'un aval, quel qu'il soit, pour se retirer dans les sanitaires - c'était, du moins, ce que Hanka estimait en le voyait s'éloigner avec tant de raideur. Elle attendait encore, allongea ses jambes sur le canapé réservé à l'oyabun et à ses charmantes compagnies, et ce faisant ajusta la longueur de sa jupe en vain. Étrangement, Reiji ne lui avait offert aucune tenue pour cette soirée. Ce n'était pas dans ses habitudes, probablement que les affaires qui n'étaient pas en ordre le contrariaient tant qu'il en oubliait ses bonnes manières. Elle ne prendrait pas le risque de le taquiner avec ça ce soir.

Un soupir. Peut-être résonna-t-il, peut-être portait-il plus loin qu'elle l'imaginait, puisqu'il leva la tête un instant. Lui, c'était le pianiste. Le nouveau. Elle ne l'avait jamais vu dans ce restaurant, mais elle avait vu le piano et avait constaté sa solitude plus d'une fois. Sûrement s'étaient-ils décidé à rendre leurs établissements aussi luxueux que ceux du Nord.
Une présence qui s'effaçait dans la pénombre de son estrade, à tel point qu'elle se demandait comment il arrivait à jouer. Et, plutôt que garder cela pour elle, Hanka se sentit investie du devoir d'entamer une nouvelle croisade. Au comptoir, un second bourbon ; le sien était presque vide, et elle n'avait pas vraiment le droit de commander autre chose sans l'aval de l'oyabun. Elle prit le verre, s'approcha du piano, et par audace et culot imposa l'alcool sur le couvercle fermé.

- Na zdrowie.
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Dim 10 Juin - 17:54
Du bourbon sur un piano

Des vapeurs d'alcool, et quelques notes de piano, qui s'entremêlent. Du whisky en do mineur, de la nicotine en unisson. Et l'intervalle diminué du cœur, quand il ferme les yeux. Les paupières closes. Un bras en moins. Paul Wittgenstein et Nobuyuki Tsujii. Il sourit. Autant que peuvent sourire des lèvres gercées, abîmées, ravagées, sans craqueler. Une lenteur dans les doigts, une lenteur dans une poitrine qui se gonfle, et qui se dégonfle. Et des nuages rouges qui s'allongent sur un clavier blanc, traversé de rivières noires. Et une mélodie qui fane, et tombe, dans le silence, et l'oubli. Ne demeure que les dernières notes. La dernière croche. Les derniers temps. Un souvenir qui plane dans des atomes d'oxygène. Et qui pénètre les poumons. Il n'est là que pour ça. Comme ce piano. Ce piano et ces bouteilles et cette femme. Il n'est là que pour ça. Faire beau. Et paraître. Pas être.

Un couvercle sombre recouvre les touches blanches.
Et des paupières se lèvent, quand un bras reste mort.

Vaska, un bourgeon s'ouvrant en se noyant dans des flots musicaux. Un lotus, selon l'âme japonaise. Et quelque chose de moins doux, selon l'âme russe. Son visage se tourne vers cette porte scellée, condamnée. Rien ne glisse de par ses gonds, ni de par sa serrure. Ni mot, ni odeur. Vaska se tait. Vaska ne pense pas. Vaska respire, et c'est déjà bien. Cela fait déjà assez de bruit. Comme ce soupir. Ce soupir, comme une brise, qui caresse ces lèvres, et qui coule, et s'écoule, en bousculant ces quelques notes suspendues, jusqu'à la mer. Elle, telle une statue charnelle, habillée de soie et habillant le soir, qui s'installe, simplement. Il détourne ces yeux de lac gelé, pour retourner à l'obscurité. C'est la place des chiens. Et celle des pianistes. Vaska est l'un, et l'autre. Et c'est ainsi. Mais elle, elle est sublime. Le met et le vin de l'Oyabun. Qui flirte avec le comptoir, et dont les doigts s'enroulent autour d'un verre.

Quelques secondes de rien. C'est important, les secondes de rien.

Mais un verre se pose, là, sur son piano. Et elle, elle murmure quelques mots de cette langue qu'il n'avait pas entendue depuis longtemps. Si ce n'est dans la bouche d'ignares, n'ayant de lexique que « vodka » et « kalachnikov », et une prononciation approximative. Ces petits mots, si clairs, si doux, c'était déjà une caresse, une main qui glisse dans des cheveux désordonnés, dans des cheveux de jais. Un souffle qui s'écrase sur la nuque. Il y a alors les arômes du bourbon qui montent à ses narines, et l'ambre qui lui semble trouble, loin de la transparence de ses eaux. Mais surtout le souvenir de cette voix et, le long de ses sinus, ces senteurs nouvelles, qui se reposent.

« за здоровье » (1)

Un Chaperon qui ne fait rien d'autre que murmurer, dans une expiration fugace. Le parfum et la teinte du bourbon lui vont bien, à elle, mais tranchent avec le noir, le rouge, et le blanc, de Vaska. Alors, si leurs regards se croisent, ce n'est qu'un instant. Et si des sourires s'échangent, ce n'est qu'un accident. Un chien est un chien. Un infirme, un infirme. Un drogué, un drogué. Vaska connaît sa place. Loin du beau. Six pieds sous terre. Dans le silence. Ainsi, murmure t-il, simplement, sans envie, presque inaudible, pour ne pas troubler le calme de l'endroit, pour ne pas prendre trop de place.

« У вас есть любимая музыка? » (2)




1 - "Za zdrowie" soit "Santé"
2 - "Ou vas est' liobimaya mouzika?" soit "Vous avez une musique favorite?"
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Lun 11 Juin - 3:08
I feel you so,
Ses gestes avaient le parfum de la maison. C'était reposant.
Il était un foyer, croyait-elle, un âtre béni d'être musical, d'être humble, si familier qu'elle en était nostalgique. C'était déconcertant, d'être ébranlée ainsi ; d'être soudainement si fragile qu'il fallait tenir son verre des deux mains en pensant aux grèves de la Baltique et à la statue de Neptune. Il en fallait peu, vraiment. Il suffisait de savoir porter le blanc, le noir et le rouge comme elle seule était capable de les porter. Il suffisait d'un peu d'héraldique bien placé et d'un accent qu'elle ne pouvait reconnaître et qui, pourtant, multipliait les possibles une fois chanté.
Il ne venait pas de sa Baltique, il ne venait pas de ses terres ; ils avaient une politesse commune, cela dit, et Hanka en fut ravie.

Il ne la regardait pas, triste évidence - toucher la reine, c'est toucher la royauté elle-même. Il ne souriait pas, pas vraiment, c'était à fendre l'âme. Du plus loin qu'elle pouvait remonter, il n'avait jamais été question de regretter ce qu'elle inspirait. Une époque révolue.
Elle souriait, presque confuse, maigre de connaissances ; elle aurait pu savoir répondre, elle aurait sûrement du. Hanka pouvait regarder, elle. Elle pouvait voir combien elle serait gauche, combien sa conversation serait inopportune, et l'ourlet de sa bouche anoblit le bourbon.

- польской... да, польской, Шопен, шесть - оди́н. я любить. Пожалуйста. (1)

Une main dans la lourde cheveulure, très vite rangée contre le verre. Elle ne put retenir un rire alors elle l'étouffa, le noya, couvrit le plus gros glaçon du souvenir de sa lèvre. L'instant était rare. Précieux. Ils avaient le loisir d'être seuls et silencieux.

- Простите Я не говорю по-русски. польской, польской. (2)

Ils seraient beaux tous les deux ou ne le seraient pas du tout.
Elle avait quelque chose à récupérer dans son manteau.


(1) Polonaise... oui, polonaise, Chopin, six - un. Moi aimer. S'il vous plaît.
(2) Je suis désolée je ne parle pas russe. Polonaise, polonaise.

Je t'en supplie corrige-moi si j'ai dit de la merde, et, genre, ce serait génial que j'ai vraiment dit de la merde haha
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Lun 11 Juin - 17:04
Partition suspendue

Une langue se délie, et se dilue, dans un silence saint, en quelques accents russes. Des flocons de neige au bout des lèvres, du permafrost dans les yeux, et des talons qui glissent. Un corps chute dans la Néva. Et il retient son souffle, quelques secondes. Ne rien voir de ce visage, si ce n'est des lèvres, humides d'ambre et de bourbon, que l'on imagine danser, que l'on entend valser,et une voix douce qui déraille sur quelques grammaires, qui saute sur des terminaisons. Cette langue. La sienne.  Et la sienne. Ces langues. Elles ont de quoi ravir. Dérober, et plaire. Voler, et séduire. Piquer, et embrasser. Si les lèvres de Vaska ne s'étirent pas, une lumière frêle s'allume peut-être dans les méandres de ses yeux. Après tout, il n'y a que les yeux. Mais il ne voit pas les siens, et elle ne les voit pas non plus. Un chien, c'est un chien. Et une reine, une reine. Polonaise.

Une langue, une voix, c'est des cordes, vocales, un instrument simple, mais séduisant. Aimer écouter parler, s'allonger dans les sons, et songer, les voyelles et les consonnes, et s'assoupir, dans une intonation, une ponctuation, une fin de phrase, qui s'envole, et s'étiole, dans les airs. Comme une mélodie de Bach. Comme une lettre pour Elise. Comme les nocturnes en partition. Elle lui semblait être une belle partition, un bel instrument. Un piano d'épiderme. Ou, à la vue dérobée de ses hanches, un violoncelle. Deux étuis dans le bas du dos. Un corps que l'on prend contre le sien. Mais des mèches de cheveux sombres tombent devant les yeux de Vaska. Et, de sa main droite, il soulève lentement le couvercle de ces touches bichromatiques.

« Польская... так, Шопен, шесть - один » (1)

Lui vient, en mémoire, le patronage d'Arthur Rubinstein. Lui, qui montait sur scène pour faire l'amour à la salle. Et Vaska, qui monte sur scène pour les voir s'aimer. Composition délicate, avec un bras manquant. Son regard fuit vers ce morceau de plastique. Et son dernier bras valide s'en va flirter avec ces notes blanches, et ces notes noires. En fa dièse mineur. Mazurka. Une lenteur langoureuse s'installe dans les accords. Un ralenti, essentiel. Une fragilité, existentiel. Vaska ne joue pas. Vaska interprète. Vaska absorbe, transforme, et diffuse. Comme un jeu de cartes que l'on bat, que l'on coupe, et que l'on distribue. Quatorze phalanges, cinq doigts, une main, qui s'attardent. Passé décomposé. Imparfait, sur un piano. Et pourtant s’épanouit une poésie. Il ne s'agit pas, simplement, de taper sur des touches, de pianoter. Et quand les choses s’accélèrent, c'est pour retomber, dans la lenteur, dans le calme, dans le silence, qui l'emporte, toujours. Comme la poussière. Poésie,et poussière.

Et Chopin s'éteint dans une note que l'on suspend.

Dans l'air, quelque chose de doux, et d'amer, comme les confiseries de son enfance moscovite. Ses longs doigts d'épouvantail en rouge glissent jusqu'au verre. Quelques notes de bourbon, pour noyer les réminiscences de ce qui n'est plus, de ce qui ne sera jamais plus. Pour noyer la nostalgie, dans quelques gorgées. Et les arômes qui remontent sur le palais, et sur le bout de la langue. Et le verre qui retrouve le noir du piano, et sa voix une langue qui n'était pas la sienne, mais qu'il imprégnait d'un accent qui le trahissait, toujours, dans une brise.

« Merci, mademoiselle... »




1 - "Polskaïa... Tak, Chopin, chest - adine" soit "Polonaise... Bien, Chopin, six-un"
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Mar 12 Juin - 2:53
I feel you,
Elle souriait.
Comme elle n'avait aucune emprise sur rien, elle souriait. Les occasions manquées étaient légion, ce soir-là. C'en était épuisant.
Ce n'était pas une tenue pour écouter du Chopin, pensait-t-elle sobrement, le coeur ravagé par le vide dans son verre. Les bras presque ballants alors que ceux qui devaient jouer déchiffraient une langue batârde. L'un des deux se leva, pas le second ; et il composa, dans une solitude sans nom, comme un hymne à sa cruauté.
L'air était calme. Il n'y avait pas un bruit.
Dehors peut-être pleuvait-il, comme à leur arrivée. Ils n'en pouvaient rien entendre de là où ils étaient.
Elle attendait encore. La porte close, ce n'était pas un mal, pourvu que son clavier reste ouvert comme l'était son corps lorsqu'il créait. Ils ne se voyaient pas, se devinaient sûrement ; son bras stoïque n'était finalement qu'une mince affaire, et il savait déjà les goûts de luxe de l'ignarde qui régnait par procuration. Elle devrait s'excuser, après. Elle devrait y penser.
Elle avait oublié une larme comme il avait suspendu l'ultime. Rien de grave.

- Merci à vous, souffla-t-elle encore sonnée, un peu en retard, les yeux perdus contre ses cinq héros. Monsieur.

Sa gorge était sèche et ses yeux étaient pleins. Ses bras, théâtralement orchestrés comme contour de sa poitrine, mettaient consciemment en avant une beauté pragmatique. Elle détestait justifier un accroc dans son eyeliner. Ne bougeait pas plus que son valet.

- Un talent pareil ne devrait pas être ici. Quelle sordide affaire avez-vous jugé plus digne d'intérêt que vous-même ?

Un sursaut plaisantin. Elle souriait, quoi de mieux pour elle ; il ne répondrait pas, et elle n'en attendait pas tant.
Ses yeux s'égarèrent sur lui, sur ce qu'elle entendait de lui. Son dos, la naissance de sa nuque, son profil marqué. Une inspiration plus tard, elle était convaincue d'avoir affaire à un aède, et se refusait à être traînée aux Enfers à cause d'un regard tendrement acceuilli.
Ele fut peut-être un peu brusque lorsqu'elle rendit au verre à moitié plein son frère tristement vide. Un peu trop intelligente en allant chercher son manteau, en le déposant sur le piano.

- N'arrêtez jamais de jouer, surtout.

Cela sonnait comme une prière.
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Mar 12 Juin - 23:12
Les arômes d'une larme

Dans ce silence, Chopin s'épuise, lentement, emporté par des effluves de bourbon, des fleuves de lenteur. Sous les doigts du pianiste, une noir vaut une blanche, une seconde en vaut deux, et sa peau revient frôler ces touches, comme l'on frôle une peau, comme l'on frôle une nuque, du bout des lèvres, sans l'embrasser. Ses yeux d'hiver ne se lèvent pas, demeurent bas, par crainte du blizzard, peut-être. Il n'y avait alors que ces hanches, que ces jambes, et cette voix et ces mains qui pendaient, ainsi, au bout de ces bras, comme au bout d'une corde, une odeur de chanvre. Et l'arôme d'une larme roulant sur une joue rose... Une souffle, et c'est un sourire discret qui s'efface, et se perd, avant même de naître. La douceur de savoir que l'on est pas seul. Seul avec cette amertume dans le fond de la gorge. Seul avec cette nostalgie dans le fond des yeux. Seul avec ces regrets dans le fond du cœur. Et les « Si... », qui ne sont pas, et qui persistent, par leur absence, à enfoncer ces surins dans ces muscles. Serpents sifflant. Brise cinglante. Quand elle le remercie, ses yeux remontent tout juste assez pour deviner un ventre, et des bras qui soutiennent désormais une poitrine qu'il n'envisage même pas, grignoter par des cheveux noirs ruisselant sur son front.

« Toute affaire, sordides ou non, qu'importe sa nature, est plus digne d'intérêt que moi, mademoiselle. Un pianiste, c'est une pièce échangeable... »

Et le prochain, peut-être, aura deux mains pour jouer Chopin. Des mots qu'il étouffe, dans le fond de sa gorge. Comme avec un oreiller. Non pas qu'il lui en voulait, au contraire. Mais il y avait là, dans des recoins de sa mémoire, le souvenir, tenace, de ces heures, passées, devant un piano, à jouer, à la perfection, les partitions polonaises, allemandes, autrichiennes, françaises, russes... Des temps où cette lenteur n'était pas, et où son bras, lui, était.

Les arômes d'une larme roulant sur une joue rose. Et le vibrato d'une corde vocale. Quand elle posa ce verre vide à côté de cet autre verre, il le repoussa légèrement, du bout des doigts, comme une invitation à venir, elle aussi, noyer quelques atomes de chagrin dans les eaux ambrées du bourbon. Un geste subtil qu'elle ne remarqua, peut-être, pas. Elle s'en alla, et revint. Comme un contrepoint, comme la marée. La lune et la nostalgie. Durant quelques secondes, ces yeux polaires l'avaient suivit. Elle, et les plis d'une robe quand elle marche, et ses épaules, et ses cheveux qui retombe, cascade sombre sur une peau claire. Quelques secondes, simplement. Avant de s'en retourner au piano. Et à cette prière.

Lent et douloureux. En D major et D mineur. Le premier temps des trois. Gymnopédies. De Satie. Une note qui en appelle une seconde. Tels des pas sous la pluie. Une pluie pénétrante, et froide, comme une solitude subie. Et des cernes sous les yeux qui se creusent. Des soupirs qui se perdent. Des efforts vains. Et des flaques de neige fondue que l'on traverse sur des planches de bois. Et cette pluie, battante. Lente et douloureuse. Un jour seulement, cette balade lui inspira un sourire, une joie pleine et profonde. Main dans la main, avec cette fille, des feux nucléaires dans les cheveux. Un jour seulement. Et ses doigts et ses os s'articulant pour cette composition triste. Les arômes d'une larme roulant sur une joue blanche. Il lui offrait, tout comme elle le lui avait offert, quelques minutes auparavant. Le cadeau des larmes. Et des yeux humides. Et ces temps, morts, entre deux notes, comme des nuages qui se dispersent, et disparaissent, dans l'horizon. Pour une lueur.

Un sourire.
Sur des lèvres gercées.
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Mer 13 Juin - 4:39
I heard you,
Presque certaine de ne pas avoir laissé son verre à cet endroit. L'attention lui allait droit au coeur. Selon le plan, un paquet d'industrielles presque neuf rama du manteau au piano, suivi par une modeste boîte d'allumettes. L'ingénue respirait les cendres bêchées par l'artillerie alliée ; ils étaient courtois avec elle, ils l'allumaient, c'était leur devoir. Elle avait des industrielles publiques. S'imposa donc un paquet à rouler privé auquel elle ne toucha pas.
L'oreille posée sur la fourrure. Ce n'était pas idéal pour écouter, alors ses bras croisés servirent d'intermédiaires. Sa hanche moulait les courbes de l'autre objet. Un peu plus, on aurait pu la manquer. Il pleuvait dedans, il pleuvait sur lui. Paisible vengeance, moquerie d'enfance. Ils allaient par paire et rayonnaient d'harmonie.
Il y avait la finesse de ses doigts pour la heurter, aussi. Comme la pluie qui ravageait la courbe de ses reins et son front débarrassé - à peine plus solides que les feuilles en automne, pourtant, ces doigts. Elle l'écumait au compte-goutte, allait volontairement seule. Médite ou écoute. Parfois, comme commanditée par la pluie, la ligne oblique de son sourire creusait son ennui avec un ongle. Elle se reflétait dans la bouteille de brandy que le barman nettoyait, attentif aux vibrations dans l'air, le nez conquis. Ils semblaient collés. Assemblés les uns aux autres par le montage bienveillant et maladroit de la jeunesse de garderie, résolument épars puisqu'aucun de leur regard n'allaient à l'unisson. Elle voyait le poète, il voyait ses mains - il n'était pas certain qu'ils regardent quoi que ce soit, absorbés, à eux purement tout. Manet serait fier.
La pluie cessa.

- Votre humilité m’écœure.

Mais pas les crevasses de sa bouche. Elle parlait bas pour ne réveiller personne.
Immobile en tout. Peut-être son air bridé avait-il suivi, pour se rappeler au monde, le versement de l'eau. Elle n'en était pas sûre.
Leurs corps étaient ouverts, mais ils n'entendraient pas tout. Il y en avait trop.

- tu avances toujours aux confins de la nuit
le feu s'est éteint où finit la patience
même les pas sur des chemins imprévus
n'éveillent plus la magie des buts

braises braises
l'amour s'en souvient


Elle goûtait un français exquis de justesse. Se redressa, à peine ; sur les coudes, assez pour arranger le tabac sur une feuille.

- rien ne nous distrait de l'attente assise
sur les genoux enfants aux plénitudes chaudes
pourrais-je oublier le son de cette voix
qui contribue à répandre la lumière
au-delà de toute présence

fraises fraises
à l'appel des lèvres


Une pause, inopportune. Sourire ne suffisait plus.
Elle reposa le verre à l'endroit exact où elle l'avait pris, étendit l'invitation à tous les jouets présents sur la table. Sa pluie à elle, comblée par la pulpe de ses doigts, accusait une virtuosité toute relative quant à son habileté à n'utiliser que cinq d'entre eux pour avoir de quoi fumer. Son sourire était tel qu'il empêcha ses yeux de voir.
Un signe, un peu humide, qui réclamait de la compagnie. Les enfants perdus.

- comme la mer contenue
toute une vie enlacée
et sur les innombrables poitrines
l'incessant froissement des ours effleurés...
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Mer 13 Juin - 23:04
Rêves, Rêves...

Des gouttes s'éclatent contre le macadam. Il y a cette cigarette, humide, qu'on ne peut allumer, et la chaleur humide d'une capuche posée sur le crâne. L'automne et ses feuilles mortes, et le vent qui les balaient. Ce parfum de terre mouillée qui remonte dans l'atmosphère. La saison des pluies, grise et triste, battantes et lancinantes. Et des pas qui battent les pavés, comme le clavier d'un piano. La mélodie des semelles dans les flaques. Et des paupières qui se ferment, un instant, juste un instant. Un menton qui se relève, un visage s'offrant au ciel, et accueillant, ces eaux, couleurs de noyade, entre ses lèvres, en un sourire. Des clepsydres qui se vident, des amphores qui se déverse, sans cesse. Puis, une lueur, dans un silence, et les nuages qui se retirent, lentement, en suivant les courbes lascives de ces hanches. Instant de séduction. Elle et le bois. Lui et le plastique et l'ébène. Eux, et ce piano, et ce bourbon et l'obscurité de cette scène. Eux ?

Une humidité qui s'estompe, comme des couleurs qui ternissent. Et une humilité qui n'est pas vraiment, qui est plus sombre, plus profonde, mâchée entre ses dents, étirées par ses lèvres, en un demi-sourire sans saveur. Un chien, c'est un chien. Un bâtard, une sale race. Indigne d'être un loup, tout juste un chaperon, rouge et faible. Tout juste un pantin, dont les doigts s'agitent, sur les touches d'un piano, en suivant le rythme des mots susurrés. Les confins de la nuit, et le feux qui s'éteint. Et le son de cette voix, qui répand des lumières, du bout des lèvres. Un soleil qui se lève sur les steppes glacées, et illumine un minois maussade. Des yeux qui s'ouvrent, séduits, par ces sonorités françaises. Tentation du regard. Du bout des doigts, il amène un peu de nocturne, un peu de Chopin, comme une inspiration, afin d'accompagner, de conserver, ainsi, l'éclat de l'aurore. Un juste équilibre, entre la nuit, et le jour. Une recherche de l'éternel, contre l'éphémère.

« Rêves, rêves,
Au silence de braise,
Pourrais-je oublier l'attente comblée
Le temps ramassée sur lui-même,
Le jour jaillissant de chaque parole dite,
Le long embrasement de la durée conquise... »


Réminiscence d'une langue, malmenée par un accent russe. Oiseau bleu. Les voyelles qui s'étirent, les « L » qui chutent, plus dur, comme une guillotine coupant les consonnes. Et un, deux, trois, quatre, accords, au piano, pour les défunts. один, два, три, четыре (1). Et il se tait, à nouveau, pour que des lèvres glacées, craquelées, soupirent, doucement.

« Sèves, sèves
Ma soif s'en souvient... »


Un silence, un souffle, une hésitation. De la salive qui tombe dans le fond de la gorge. Des doigts qui tremblent, au-dessus de quelques touches de blanc. Et un bras, mort, inerte. Des yeux qui se relève, sur des stalactites anthracites. Puis un menton qui se relève, et un visage s'offrant au ciel. Ou a elle. Et qui accueille ces eaux, couleur de noyade. Ou ses yeux. Premier contact. La pulpe des lèvres, et cette graine juste en-dessous. La pâleur d'une peau picoré par quelques points précis. Une beauté princière, et primordiale.

« Tristan Tzara, c'est bien cela ? »

Et lui, qui ne lui offre rien, et qui n'a rien à lui offrir, si ce n'est les hivers russes de ses yeux de glace.



(1) - "Adine, dva, tri, tchëtirye" soit "Un, deux, trois, quatre"
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Jeu 14 Juin - 23:36
Are we...

Sur le bout de la langue, une poésie nocive et noire qui la tenait éloignée des peines surréalistes, la feuille fine comme du papier de Bible. Elle s'y coupait, parfois ; avoir mal remettait les pieds sur Terre. Trop loin du rôle, et si le rhapsode pagayait calmement sur les eaux de façade, la muse allait, toutes voiles tendues, égarée au large et dans son orgueil. Une chance de les trouver encore, les perles dans les huîtres, et elle cultivait cette ressource avec le soin qui incombe à l'éditeur de veiller sur la littérature. Parce que son corps était une cave en plein hiver, elle le polirait, parangon d'attention, en ferait une perle ronde et nacrée, qu'elle porterait autour du cou ou du poignet. On en oublierait presque qu'elle n'avait de noble que la compagnie.
Le feu des hommes, un trait d'esprit brumeux comme Londres au repos, la voix tout aussi radiophonique. La roulée métamorphosée en cigare par l'air masculin que la main qui la portait se donnait. Le velours de ses yeux espérant, en déposant le coupable de sa négligence, que la Russie se porte bien. Et enfin. Enfin l'orphique offrit son visage au monde qui le nommait. Sûrement en mourrait-elle une seconde fois, souriante malgré son humidité de satin.

- Lui-même. Il est difficile à accorder, mais il a une bonne synergie avec Satie. Peut-être un peu moins avec Chopin. Le côté romantique, j'imagine.

Elle ne l'avait pas assez étudié pour avoir le mot juste.
Les cendres calmement envolées, son corps, à nouveau, prit le pli de l'instrument. Pas plus haute que lui, pour l'écouter au mieux, lui, sa voix essoufflée ; parlait bas pour que leur Est reste un secret.

- Je pensais que l'Europe me manquerait différemment. Mayaku est presque trop occidentale.

Et trop hors du monde pour être foncièrement rayonnante. Apparue, un matin d'or et de prières, sur une carte froissée d'un autre Est - plus extrême, plus suave, plus lointain. Elle était devenue toute tangible une fois les bagages posées, pas plus cruelle qu'une autre, rien de si exceptionnel. Il y avait des voyages sensiblement plus calmes que les autres. Mayaku, en travers de la gorge, était juste une ex un peu difficile à oublier.
Il lui avait offert sa voix, il lui avait offert sa langue ; ils en avaient fait, du chemin.
Les glaçons qui s'entrechoquent. Délicat interlude musical.

- Y êtes-vous installé depuis longtemps ? Je ne vous avais jamais vu jusqu'à maintenant.
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adagio. || vaska. Empty Re: adagio. || vaska.

Dim 17 Juin - 23:26
Seulement quelques grammes

Dans le fond de ses yeux, des pellicules, dont le film noir se pigmentait d'autres couleurs, captées par une lumière, par l'éclat, crue et rude, de son regard. Une photographie se développant dans l'antichambre sombre de ses mémoires sinueuses. Lentement, elle se révèle. On la fantasme, puis on la devine. Les contours, la silhouette, fantomatiques, qui percent l'obscurité d'un voile fragile. On spécule, on s'impatiente, et l'instant, s'étend, s'étire, s'éternise, s'estompe. La ligne de la mâchoire, à l'encre de chine, et les lèvres au pinceau. Puis vient le nez, et les yeux, abîme colorée dans une toile en noir et blanc. Et cette chevelure qui tombe mollement, langoureusement, sur les courbes délicates de son cou. Les clavicules, en-dessous. Cette voix suave, plus haut, qui s'envole. Et les doigts, qui caressent et dispersent, qui roulent et enroulent, du tabac, dans une feuille, fragile. On la fantasme, puis on la devine. On l'observe. Et la photo s'effile.

Ce n'était que quelques grammes de légèreté, le poids du monde sur les épaules, du plomb dans la poitrine. Et des doigts qui s'en retourne au piano, comme son corps le retrouve, et le séduit, en épouse les formes, et les contours. Elle avait raison. Entre Tristan Tzara et Eric Satie, il y avait quelques ruines, quelques no man's land, des carcasses d'avion et des trains vides, des supermarchés dévalisés, désertés. Et la poésie des espaces morts. Une passion commune, pour la destruction, pour la création. Une ligne dans le sable, qui résiste à la brise. Comme un message dans les neiges, éternelles. Séduisante, et sensible. Une cigarette entre les doigts, entre les lèvres...

Seulement quelques grammes, de légèreté, quelques grammes, de cendre, et de romantisme, qui s'enfuit, vers un jazz épuré. De la suite d'accord dans les idées, et une improvisation au bout des ongles. Une partition sur un timbre poste. Duke Ellington qui embrasse le néant. Ronde contrariée, balade en amoureux, qui se découvrent et se détestent. Et cinq doigts, et quatorze phalanges, qui se perdent d'un côté du piano, en une marche, harmonique, d'escalier branlant, qui donne sur un mur. Motif mélodique. Qui revient, toujours, comme un blizzard, un froid, sibérien, balayant les marécages moites et la chaleur des bars de la Nouvelle-Orléans. Et qui s'accorde à cette nostalgie de l'Est, cette nostalgie slave, des longs hivers rigoureux, et de la chaleur que l'on trouve, entre les bras d'un être, dans le fond d'une bouteille de vodka, dans un simple bouillon. La nostalgie de ces pierres qui n'éclate pas dans le froid. De ce permafrost. De cette permanente solidité. En Russie, on ne pleure pas. En Russie, on ne fait pas ça. Ni ça. On épouse le froid, on serre les dents, on marche.

Mais ici, le froid fait fendre la pierre, qui craquelle, cède, et s'ouvre.
Ce n'est pas le même froid. Ce n'est pas les mêmes pierres. Sans doute.

Mayaku. Des glaçons qui se rencontrent, et valse, dans les eaux du bourbon. Valse. Deux, trois temps. Loin des yeux, qui se perdaient dans les méandres de l'établissement, dans le vide, les doigts pressaient ces quelques touches, tantôt blanches, tantôt noires. Ils s'écartaient, frappaient, se relevaient. Et les notes planaient, ou étouffaient. Une douce fougue voguait sur des eaux lentes et mortes. Une âme moscovite, un air de jazz, pour un climat japonais.

« Plusieurs mois, peut-être. Cependant, je vivais relativement reclus jusqu'à très récemment... »

Une envie, un besoin, de solitude, et de calme. D'un silence seulement bouleversé par un piano, et sa propre respiration. Le chaperon au placard, le pistolet sans balle et sans poudre. Et une âme qui prends la poussière. Des articulations qui s'ankylose, des muscles sans tonus, comme un cœur au ralentis, comme du sang qui sèche dans les artères. Un autre de ces sourires fades sur ses lèvres fatiguées. Et un regard qui s'en retourne à la danse de sa main sur son instrument.

« Pourquoi avoir quitté la Pologne pour l'Orient ? »
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Mar 16 Oct - 4:25
Maybe we need to relax,
Le beau geste, l’œil aveuglé par le carillonnement du lustre en orbite par-dessus leurs épaules accablées, guidant la main empoisonnée à la lisière de ce qu'il y avait de plus sain en elle toute charogne, l'élégante ambition mortifère déjà putride, le creux pittoresque entre deux doigts imaginé - car elle vivait encore trop pour être engloutie tout à fait. Le coeur battant sous l'arcade elle laissa l'encens se consumer tandis qu'elle brûlait d'une poésie singulière jusqu'à ce que, selon qu'un obscur patron ne s'y résolve, l'arbitraire décision d'autodafé n'éteigne sa si précieuse passion. Leur boudoir une chambre magmatique grondante et profonde, noire de ne pas voir le jour et rouge d'arts, ils étaient là et elle ne savait plus rien de leurs raisons ni de leurs moyens. Ils étaient artistes décidément, ils étaient en lambeaux, ils étaient rares et graves et francs sous les comètes et les bougies. Ils se passaient de mots, pensait-elle sans doute à tort.

Elle tassait le tabac comme s'il eut été question de préparer une pipe ; solide et viride, un beau geste toujours, et elle, torride et voyante, s'affaire, dans un souci capricieux, pour rendre ses titres à son héraldique chahutée. En elle s'afflige une octogénaire ennuyée, le sourcil accusateur pourtant d'une extrême sympathie, le tisonnier à la main, anxieux d'avoir laissé l'eau sur le feu ; et son époux peut-être, borgne et davantage, rieur sans plus de dents, à l'écoute moins de sa maisonnée que du lit de la Bzura, sa secrète odalisque. Sa main, la poigne puissante d'Héphaïstos, lui offrait le fleuron de son artisanat ; quelque part, elle l'attendait, puis ils seraient seuls tous les deux.

- Pour mon frère, façonna-t-elle en sachant l'immédiateté de son erreur, dès lors que les pensées aimables eurent franchi les lèvres amoureuses et leurs mille caresses. Le recul lui refusait ses faveurs ; elle se contenterait d'être faillible, et considérer la sainte sagesse comme un forçat lui apprit quelque chose comme une peine béante et mazoutée.
Robuste et virile cantonnée à son apparence de dryade ; elle se dévouait, pour le bien de lui, au bois du piano, encastrait ce corps à sa place - et elle fumait, oui, un dépit lauréat, un répit abordable seulement, son regard accroché à l'important complice, car si seulement elle savait parler...

- Vous êtes dangereux, je suppose, la seule présence de ce piano de vous aurait pas suffi à quitter votre solitude - et il y a pléthore de pianos. Vous êtes dangereux, et peut-être suis-je l'agneau de Dieu car, mon humilité toute rassemblée - et vous me voyez navrée de pouvoir l'être aussi bien - je m'avoue toute inoffensive. Vous êtes intimidant, mais vous êtes comme de la famille. Peut-être aurions-nous pu nous aimer, en d'autres circonstances.

Par trop de fois coupable, fatiguée de vaincre, elle laissa se dérober l'univers, le verbe meurtrier comme meurtri. Il était si calme parmi les ombres, elle l'enviait ; elle qui crevait de trop d'inspiration, lui qui comblait son envie de littérature.

- Combien êtes-vous dangereux ?
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Mer 24 Oct - 0:32
Folies impériales

Deux flocons d’une neige slave, ballottés par des vents japonais, de ruelles en boulevards, des pianos dans les bars. Des soldats cosaques perdus dans les terres du soleil qui se lève, lentement. Comme des doigts sur le clavier. Qui ralentissent. Deux comètes égarées, qui se consument dans l’atmosphère, et s’écraseront, là, non loin, tout près. Et l’odeur du tabac, que l’on écrase entre les doigts, et qui s’émiette, et s’égrène. Des prières récitées entre des lèvres closes. Pour un peu de nicotine dans le fond de la gorge, un peu de goudron dans les poumons. Et le poids des mégots, dans le fond du ventre, dans le fond des yeux. Sur le bout des doigts, qui jaunissent. Comme ceux du pianiste. Par trop de cigarette, et trop de joint. De flammes de briquet, et de bâtonnets et de collages qui se consume et se consomme, entre les phalanges, au grès d’une petite luciole de chaleur. Qui meurt dans une dernière inspiration. Et s’éteint, lentement. Dans un cendrier.

Des terres d’esclaves, à celles des shoguns. Plus grands, plus vieux, comme punis d’avoir vécus, et entrepris le voyage. Les touches du piano, et les cordes, se teintent de mélancolie. Parmi les horreurs et les peurs, les ombres et les cris, l’ennui et la violence, il y avait le froid, il y avait la neige. La chaleur des bouillons, et du bonnet qui couvre les oreilles. Les manteaux que l’on dépose à l’entrée des restaurants. Le sourire hypocrite et le regard méfiant des concierges. Les ascenseurs branlant. Les escaliers en béton. La fumée qui s’échappe des toits. Le souffle chaud des lèvres entre les doigts. Et le thé et les biscuits sec. Une note s’étend lentement, et il ferme les yeux. Pour son frère ? Et dans chaque histoire, il y a le poids de la famille. Un noyau qui éclate. Une fission nucléaire. Entre ses lèvres, le mot s’envole, et s’écroule, dans le silence, sans suite. Soit. Elle donnerait la tonalité des mesures à venir, plus tard. Pour l’heure, la musique est en suspens, et elle attend un « la ».

Dans ces yeux clairs comme l’eau de la Néva, ou dans la noirceur des cernes. Dans ce bras mort qui pend à ses côtés, ou dans les étincelles qu’il y a au bout de ses doigts. Dans la fatigue de ses mots, ou dans la lenteur de ses morceaux. Elle pressentait le danger. Une note, puis une autre. Une nouvelle partition improvisée, au rythme de ses mots. Elle, l’agneau. Et lui, le loup. Un sourire amer sur le bout de ses lèvres. Lui, le loup. Tout juste un chien de rue. Un chaperon rouge, toquant à la porte de mère-grand. Et quand son regard revient à ce visage qu’il osait à peine observer, esquivant les courbes d’un corps qu’il ne pouvait admirer, la forme de ses lèvres changent, un instant. Inoffensive. Elle ne l’était pas. Combien de fois Rome a failli tomber pour des yeux comme les siens ? Troie est tombé pour elle. Et tant d’autres royaumes, pour une beauté comme la sienne. Ignore-t-elle le pouvoir de sa beauté ? Ou est-elle en train d’en jouer ? Car de nombreux empereurs sont devenus fous, ainsi, en se risquant à caresser, du bout des doigts, la flamme d’une bougie, la flamme de ces charmes. Elle ne pouvait ignorer la puissance de la grâce de son corps. Il n’était pas plus dangereux qu’elle. Un revolver à la main, un ardent désir de tuer dans le creux du cœur, il demeurait moins dangereux qu’elle ne pouvait l’être, par un murmure. Un murmure en guillotine.

« Je ne suis pas moins navré que vous, voyez-vous. Navré de vous décevoir. Car s’il est vrai qu’il y a pléthore de piano, peu sont accessibles à un pianiste tel que moi, incapable de jouer des deux mains. Il se trouve simplement que l’on apprécie ma lenteur ici, et ce qui s’en dégage. Certains y voient de la mélancolie, quand d’autres ressentent une tension dramatique. Des larmes qui ne coulent pas, un couteau que l’on dissimule dans le dos. Un homme qui s’écroule, ou une civilisation qui sombre. Non, à moins que vous soyez de celles qui sont capables de se trancher la gorge devant la beauté d’une mélodie, vous n’avez rien à craindre de moi. D’autant plus que je n’ai pas le talent nécessaire pour donner naissance à ce genre de réaction. »

Il y avait tant de mélodie qui lui était désormais interdite. Il se cassait les dents sur les métamorphosis de Philip Glass, par exemple, et ce même en ralentissant le tempo. Certains ne lui résistait pas. Beethoven, et même Bach. Chopin, et d’autres. Mais les métamorphosis lui manquaient. Jouer, ne serait-ce qu’un mouvement. Ne serait-ce que dix secondes. Une ritournelle. Et la répéter, en boucle, quelques temps, de manière tout aussi minimaliste. Dans le flot des notes, il songe, et révise la partition. Jusqu’à trouver une boucle.

« Je ne pense pas que vous inviter à venir près de moi puisse vous convaincre de ma nature inoffensive, mais, vous plairait-il de jouer avec un compatriote slave ? Voyez-vous, il se trouve que celui affectionne particulièrement un morceau, mais que les caprices de l’existence lui ont interdit de jouer… Rassurez-vous, il n’y aura rien de bien compliqué. »
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Dim 18 Nov - 2:39
There's no way that you can touch her like I do,
À la naissance de sa clavicule scintillait l'unique perle de sueur qu'elle portait, ambrée comme du vermouth. Ses proportions improbables et les angles terrifiants que prenaient son corps sculpté la faisaient sembler une de ces poupées Château, toutes articulées et vouées à ne jamais bouger ; aussi resterait-elle insignifiante, les lèvres scellées autour d'une de ses plus maladroites roulées, le souffle contenu parce qu'elle oubliait de respirer, l'ongle de l'annulaire griffant son menton ; belle dans ce qu'il y avait de beau, une part tout au plus - elle ne pouvait alors tout appréhender, se contentait de tout l'enivrement qu'elle lui trouvait.

Elle aimait l'immobilité de son bras et la mimait sans y faire attention. Qui qu'il fût, il avait pour lui les faveurs du marbre et du grès, des porcelaines plutôt ; faveurs toutes accordées à la beauté utile, à l'artisanat : silence, calme, discrétion, simplicité, utilité, humilité. Une modestie émouvante - elle le lui avait déjà dit. Il était le service à thé anglais qui, sous ses airs d'apparente banalité, avait traversé un continent entier pour s'afficher dans un salon et servir la reine. La porcelaine qui la mettait en échec avant le roi ; un pieux dans le coeur, vraiment, car il était cruel de la rappeler à ces doigts assoupis de ne plus jouer avec rien - des gunplas, peut-être, ceux qui étaient déjà peints et qui ne servent pas à cela - à ces doigts déshérités, handicapés par des ongles qu'elle adorait, débilement rouge pour la passion qu'elle tentait vainement d'oublier.

L'avoir présenté dérobait désormais le devoir qu'elle avait de veiller sur cet amour si vif. Ambrée comme sa peau une fois adoubée par le soleil napolitain, tous ses os fins comme les doigts d'un pianiste ; elle ne le quittait pas des yeux, refusait d'y croire. Il baissait les yeux comme lui. Il souriait presque comme lui. Qu'elles étaient seules, les neiges slaves. Qu'elles pouvaient s'ennuyer de leurs insomnies.

- Avec plaisir, sourit-elle humblement, la hanche déjà engagée dans une chute lente vers sa hanche à lui. Mon solfège est vieux, cependant, et certes un peu barbare.

Dangereux comme une faiblesse au coeur. Une maladie orpheline, quelque chose de grave. Peut-être souffrait-elle, à ainsi faire rater à son coeur de précieux battements.

- À défaut de mieux, j'y mettrai du coeur.

Ce qu'il en restait. Les miettes de leurs sangs séchés, juste cette fois.
Ce qu'elle fumait au coin des lèvres résigné, dans une posture qu'elle connaissait à la perfection du fait de l'avoir contemplée comme elle contemplait le reste d'un pianiste ; plus besoin de l'attention de ses doigts pour assurer l'habileté d'une entreprise essentiellement menée par le souffle, qu'elle avait retrouvé, aussi lui permettait-ce la découverte fortuite d'un clavier qu'elle n'avait jamais touché. Une note d'épicéa et d'ivoire sonnée, incapable d'y donner un nom - dépouillée, Gavroche presque tombé. Il sentait le bois et le tabac et cela n'avait rien à voir avec son parfum.

- Je vous suis.

Fidèle et attentive, un sourire radieux comme peu de fois il l'était, son regard à lui tout entier. Elle aurait aimé ne plus rien savoir.
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Dim 23 Déc - 15:20
La beauté d'une mélopée

Et les fumées, pêle-mêle, s’emmêlent, dans le ciel. Celle des cigarettes, et des maisons qui brûlent. Des empires en cendre pour un battement de cil, comme une aile de papillon. Des pluies noires bouffaient son regard clair. Une marrée de mazout sur les rivières glacées de Sibérie. De la suif sur le permafrost. Il en était même devenu un peu plus loquace. Encore un peu de neige sur ses lèvres, lorsqu’elles s’étirèrent en un simulacre de sourire. Le chien des immeubles constructivistes. Et elle, qui s’écoulait, lentement, à côté de lui. Devant ce piano. Comme la neige au printemps. Dans les caniveaux, entre les pavés. Comme une pendule sur le bord d’une table. Et les secondes en cascade dans les sabliers. Deux souffles hivernaux qui se croisent devant un peu d’ivoire. Un peu de bois. Quelques cordes, qui se tendent pour quelques mélodies, pour se pendre au bout de celles-ci. De quelques notes qui s’enchaînent et tombe en poudre sur le ciment. Il y avait son bras, mort, entre eux deux. Cette prothèse qui donnait, à cette charpie, un semblant d’apparence humaine. Poudre et chair à canon. Essayer de tenir la violence et le salpêtre à l’écart, par quelques partitions, quelques symphonies.

Sur le clavier, ses doigts cauchemardesques. Trop long. Des os sans peau. Jeune, et pourtant, déjà, la dégaine pâle d’un macchabé. Pourriture au centre de la terre, sous le soleil qui se lève et se couche, chaque jour. Une dépouille au parfum boisé, plutôt qu’à l’odeur de formol et autre produits chimiques. Et il y avait ces doigts à elle. Et le rouge de son vernis, le rouge de ses ongles. Le blanc, et le rouge. Deux cercles de l’enfer se croisant entre deux gammes, entre deux grammes. De poussière et de cocaïne. Un peu de sel, un peu de sucre. Du blanc et du rouge. Et le sombre commun des chevelures. Accord chromatique. Marche chromatique. La main du russe s’en retourne glisser sur les touches de ce piano. Dans un coin de sa mémoire, dans ses artères et ses muscles, il cherche le souvenir de cette partition. Dans ces atomes, et son séquençage ADN. La musique, comme la guerre, s’inscrit dans la chair. C’est comme le vélo. C’est comme l’amour. Dans la peau, au couteau, gravé. Brûlure au troisième degrés. Fer rouge et tisonnier. Regarde cette première voix qui s’élève, au bout de ses doigts. Hanka.

Et voici la main gauche qui manque, et comme un trou dans le discours. Des dizaines de pixels manquant. Un flou dans un coin de la photo. Un paragraphe, un chapitre, en moins. Elle sera cette main gauche. Celle qu’il a laissé, au loin, dans les gravats. Et quelle jolie main. Alors il se penche lentement sur elle, étendant son bras droit comme une branche morte et sans feuille. Epouvantail de forêt soviétique. Le plastique, sous un peu de tissu, rencontrant la peau de son épaule blanche. Et cette proximité nouvelle, lui offrant le délice de son parfum. Il hume. Discrètement. Comme portant les lèvres au breuvage interdit d’un verre en cristal. De bohème. Quand il n’avait jamais bu que dans des écuelles. Chien. Dont les doigts frappent lentement quelques touches. Un enchaînement, peut-être deux, peut-être plus.

« Si je peux me permettre de faire de vous ma main gauche, voici ce que vous devriez faire… »

Et il joue, à nouveau, cet enchaînement. Basique. Simple. Mais qui lui fait défaut. Les quelques pixels qui manquent. Les mots, les phrases et les paragraphes. Le flou sur la photo. Le visage entièrement tourné vers elle, mais les yeux sur le piano, sur le bout de ses doigts. Du coin de l’œil, la courbe de son épaule, et les lignes de son cou. Sa mâchoire, et ses lèvres. Et ses cils. Regardes-toi, Vaska. Faible, comme un homme. Profanant le temple qu’elle est, sans enlever tes chaussures une fois la porte passée. De la boue sur le sol. Sacrilège, et blasphème. Impie, et infidèle. Chaperon rouge de ta honte, et de tes vices. Du respect que tu n’as pas. Et des démons que tu caches dans le fond de ta gorge. Le russe relève la tête, pour faire face à cette beauté qui lui souriait. Les yeux dans les yeux. Et le rictus qui le contamine, et naît sur son visage, aussi. Sans que ses cheveux ne mangent les troubles profondeurs de son regard. Et que le sourire ne ressemble à une énième grimace. Était-ce lui qui venait de s’élever dans son monde ? Ou elle qui était descendu en terres chtoniennes ?

« Répétez ce motif, encore et encore. Je me charge du reste. D’accord ? »

Et dans le fond de son regard, ces remerciements qui n’arrivaient pas encore à franchir ses lèvres. Il se redresse, et ses doigts taquinent à nouveau ces touches. Un mouvement de tête, discret. Et la beauté d’une mélopée.

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Lun 24 Déc - 17:14
No way,
Depuis l'humilité de son talent, elle reconnaissait les do : comme elle avait été guidée le long des claviers qu'elle avait timidement frôlé, l'expérience avait été rare et raréfiée, et elle se satisfaisait de la contemplation alors - elle savait reconnaître les do, à la gauche des noires en duo. Ils auraient pour eux la décence de ne pas entraver ses mouvements en coinçant ses ongles dans leurs jointures.
Beaucoup d'yeux pour voir puisqu'elle n'entendait rien. Tout était question de synesthésie. Hanka retenait l'ordre et les rythmes par ceux des regards qu'elle jetait sur les cibles. Avec ce qu'il fallait de concentration, elle serait alors capable de décocher une flèche et de viser juste sans même tirer à l'arc. Les doigts habiles se retirèrent tout en pudeur ; il était comme ça aussi, lorsqu'il lui montrait ce qu'il fallait de mécanique pour ne plus avoir l'air ridicule en jouant pour la première fois. Il la regardait, elle aussi, et tout était déjà vu. Le sourire intact, comme l'émail à peine né. Il n'y avait que ce sein, soulevé un peu vite, cette pupille dilatée par la fuite, l'autre façon qu'avait le drapé de ses lèvres de répondre à l'inquiétante proposition, « certes » admirablement convaincu par un au-delà de lui, de l'instrument, de l'enseignement ; une sagesse vivifiante.

Soudain, elle pensa à l'Egypte.
Elle fantasmait beaucoup. Avait, par dépit, rongé tout ce qui restait de mots et de saveurs aux ouvrages qu'elle lui connaissait. Elle avait beaucoup voyagé, depuis la bibliothèque de son appartement : elle avait ouvert des tombeaux et rassemblé mille ostracons, révélés par la pelle et le pinceau ; elle avait vu les paquebots partir de Louxor et n'avait pas bu l'eau courante, car elle avait été prévenue à temps de ce que cela pouvait avoir de dangereux. Le soleil était assommant : comme pour son arrivée à Naples puis en Provence elle sentait poindre la migraine et n'en avait que faire, alors elle s'enrubannait d'un chèche qu'elle ne savait pas nouer et apprenait à être voilée comme la pauvre européenne aspirante dandy colonialiste qu'elle était. L'important n'était pas la véracité historique, mais la qualité du mensonge. Elle l'avait appris de Delaby.
Il y eut la Chine et l'eau jusqu'aux chevilles, épuisée par la petite centaine de plans de riz arrachés à leur lit et désormais au repos, allongés lascivement dans un panier tout juste suffisant en taille, puis les nids d'oiseaux cuisinés pour le dîner et l'oreiller en bois, la difficulté que l'on a à attraper l'amour et les parfums avec des baguettes.
Et puis il y eut Paris. Son majeur trébucha un peu, et sa mine se contraria.
Le calme du seizième un jour de pluie. La chaleur et les gargouillis traîtres lorsqu'au coin d'une rue l'on devine la marmite de l'antillaise mère du quartier, débordante d'un curry bradé pour tous les fils et filles qui partagent son teint buriné et son salaire de misère.La chaleur plus grande encore d'être conviée à sa table et parmi les siens. La bibliothèque remplie des dons des savants du Louvre et des enfants de Gallimard. Des fleuristes comme son père les enviait. La Seine pour ne pas regretter la Vistule.
Et ses cheveux longs, si simples à peigner. Les tresses devant Harlock. Les deux cafés malgré l'interdit du médecin. Les gunplas jamais montés. La cuisine encore dégueulasse. Rosita folle de jalousie, les premiers jours. La platitude de l'accent. L'irrésistible envie d'avaler le reste de ses -o fermés, égaré sur ses lèvres disparues.
Elle regrettait la Vistule. Pensait très fort au plafond de la galerie d'Apollon pour avoir l'air heureux.

Donatia en tout lisait Mallarmé chaque soir.
Etrangement, tout était calme. L'ancre avait gardé le navire de la tempête et la monnaie placé dans l'emplanture du mât avait apaisé les dieux. Hanka retira les doigts de sa main droite du piano, défaite et écorchée. Son sourire n'avait rien deviné de ce qu'elle venait de jouer.

- Quel excellent copilote je fais.

Elle qui pilotait bien plus souvent que lui. Aucun regard ailleurs que sur le souvenir des sons qu'elle essayait de trouver.
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Mer 30 Jan - 23:35
Antidote et venin

Une envolée de doigts peinturlurés, sur les branches d’un arbre, sur l’ivoire d’un piano allemand. Des oiseaux rouges sur le blanc des touches, entre quelques gammes, battement d’ailes. Un souffle dans les mélodies. Et les stalactites grinçantes, d’un dernier bras en vie, tombant sur des notes, arrondissant les angles. Comme une fumée de chanvre brulé s’élevant jusqu’au plafond. S’écrasant, tout en haut. Et retombant, pluie vaporeuse dans les narines, dans les artères et les cerveaux. Metamorphosis. Et tout devient autre. L’ivresse n’est pas le propre du flacon. L’ivresse n’est pas le propre de l’afghan qu’il brûle du bout des doigts. De la douille et du joint. Elle dans des notes jouées au piano. Dans un parfum. Dans le creux d’un Do, dans les courbes d’une hanche. Et un sourire fugace qui casse la glace sur les lèvres d’un enfant russe. Derrière des cheveux sombres, derrière des paupières closes, des yeux dont la clarté tente de dissimuler un plaisir orgasmique.

Le blanc de la peau, le blanc de la neige. Le rouge des ongles, et celui des bougies, fondant sous une flamme valsant lentement. Le sang, aussi. Et la cape du chaperon rouge, et celle des lèvres. Et les notes s’étiolant dans l’air, des portails, vers d’autres dimension, d’autres espaces, et d’autres temps. Le gris des bâtiments soviétiques. Les airs de jeux délabrés. La chaussée éclatée. Les teintes pastels de quelques murs, ceux des églises. Et les bulbes dorées, dirigés vers le ciel. L’odeur des pots d’échappements, celle de la vodka. Des années sans pouvoir jouer, sans écorcher, cette partition. Et les dernières notes qui se prélassent dans un silence s’installant. La fin d’une boucle qui ne se termine jamais véritablement. Un suspens. Et même le bras vivant singe le bras mort.

« Vous y avez mis davantage que du cœur… »

Et son visage se tourne vers la belle. Il n’a rien de mieux à offrir qu’un demi-sourire. De ceux dont il est impossible de dire si c’est de la plénitude, ou de la nostalgie. De la joie, ou de la tristesse. Et pourtant, il y a une pointe d’allégresse dans son estomac. Comme une étincelle dans la glace. Un brin de chaleur sur le visage hivernal du russe. Un miracle en soit. Du surnaturel, à quelques dizaines de centimètres. Et ses yeux qui en profite pour imprimer, dans un coin de son cerveau, le visage de cette femme. Le photographier, pour le développer dans une chambre noire. Et qui retombent, lentement, pour ne pas profaner davantage le temple de sa beauté.

Un regard vers la porte de ce bureau, toujours close. A peine quelques sons, audibles, derrière celle-ci. L’entrevue s’éternise. Et il passe les doigts dans ses cheveux de jais, en se relevant, lentement. D’une poche de son manteau, il tire un paquet de cigarette, qu’il dépose sur le piano. Ses doigts extirpent une cigarette de ce paquet, avant de la glisser entre ses lèvres, et de retourner, dans le fond de sa poche, chercher un briquet. Une flamme, de la fumée, et de la nicotine qui brûle. Il fallait rester, encore un peu, sur ses notes qui se sont envolés. Garder le silence sur une métamorphose mourante. En faire le deuil. Avant de jouer, à nouveau, une énième symphonie. La cendre se dépose dans le cendrier. Et son cœur se tourne vers le bar.

« Un autre verre ? Le pianiste a comme un besoin de s’empoissonner l’esprit. »

Sa main attrape le cendrier, et l’entraîne jusqu’au comptoir. Encore un peu plus de cendre. Et il demande quelques centilitres de vodka, dans un verre. La bouteille sort d’un réfrigérateur, et une moue se dessine sur le visage du russe. Ces asiatiques flinguent sa culture, comme les bars à sushi de Moscou. La vodka, c’est dans la glace. Le congélateur ou la neige. Mais ses doigts s’enroulent autour du verre. Qu’importe, pour cette fois. Il avait juste besoin de chasser ces petits bouts de pureté mélodiques qu’il venait de respirer.

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