Donatia fait joli.

Donatia fait d'autant plus joli au bras de ses clients qu'elle a la chance de ne pas avoir l'air trop exotique pour l'air de la terre d'accueil. Ses vêtements sont choisis, souvent inclus dans le prix, parfois offerts. Lorsqu'ils sont contents, ils la gâtent - comme une enfant, ou comme un fruit ; l'on veille à ce qu'elle soit toujours présentable. Elle est fabriquée le temps qu'il faut, généralement par rapport à la météo, toujours selon ce qu'elle doit être. On l'appelle « poupée » , même si elle tient plus de la montre : elle a l'air cher, elle décore le poignet, et la regarder trop longtemps n'est jamais de bonne augure.
La plupart du temps, elle se tait. Son rire est clair quand on lui demande de rire, mais c'est bien tout ; autrement on oublie sa voix, si elle ne s'est jamais fait entendre. Être intelligent n'est jamais judicieux quand on traîne avec de méchants garçons, alors elle sait très bien avoir l'air conne. On parle de drogue, d'argent et de contrôle à côté d'elle et elle ne comprend rien, n'a pas à comprendre, et de toutes façons ne s'y intéresse pas. Ils la connaissent, après tout. Ils connaissent sa syntaxe toujours trébuchante. Ils ont l'habitude de porter des montres. Ca, depuis deux ans.

On l'aime, Donatia. On lui écrirait des hymnes si l'on était poète. L'Hymne de l'Argent.

Elle n'est pas japonaise et agit tout comme, sait rester discrète, fume le cigare, boit dans les verres de bourbon et tient debout, mais c'est là tout son miel, c'est à ça qu'elle se vend ; un peu frustrante à être plus grande que ses papas avec ses talons hauts, agaçante avec son regard concerné qui fait craindre qu'elle leur a échappé. Insaisissable dans son rôle, et parfaitement attachante. L'un des pères l'a gardé avec lui un mois. Une décision dangereuse.
Elle reçoit des fleurs, depuis peu. Elle est convoitée, mais elle sait rester sage. Dans les deux sens du terme.
Cela fait quelques temps maintenant qu'elle interroge. On songe peut-être à acheter sa présence et son terrible silence, ce regard trop vif pour être idiot, trop éclairé pour être inoffensif. On pense sûrement à lui faire goûter à la merde qu'on vend, la rendre accro pour la faire chanter, parce que l'immunité qu'elle gagne à fréquenter les hauts bonnets menottent les silencieux aux ceintures. Dès les premiers jours, elle s'était demandée par quel genre d'arme sa vie pouvait finir. La question se pose encore.